2009-06-01

Les avancées de la science moderne

Puisque j’ai plusieurs amis biochimistes qui n’ont pas accès à Facebook (ou qui n’ont pas nécessairement les mêmes amis que moi), je me permets de transcrire ici une discussion que nous avons eue il y a quelques jours concernant des avancées modernes de certains domaines scientifiques. Pour l’instant, ça stagne, mais je me promets d’ajouter les commentaires manquants s’il en apparaît d’autres. Votre opinion est la bienvenue. 

(Stéphane) 
…had lunch with the 1973 Nobel laureate in physics today, nice guy!

(Steve) 
Est-ce que ça t'a donné le gout d'essayer une "vraie" science pour changer... ;-)

(Stéphane) 
C'est drôle que tu me demandes ça Steve, car le type, après avoir eu son Nobel, a décidé de faire de la biologie cellulaire. Je lui ai demandé pourquoi et il m'a dit qu’il ne restait rien à trouver en physique. Que toutes les lois ont été découvertes... Haha !

(Nicolas) 
Comme quoi certains récipiendaires du Nobel devraient souvent se la fermer après avoir gagné leur prix, car ils ne le remportent certainement pas en raison de leurs opinions tranchées (pensons à Watson !).

Je connais pas mal de physiciens qui ne seraient pas du tout d'accord avec ça. Parlons-en à ceux qui cherchent à unifier la mécanique quantique à la relativité générale. Les deux théories sont valables, mais inconciliables entre elles, démontrant qu'il y a quelque chose qu'on ne saisit pas bien.

Le problème, c'est que chaque génération qui s'accomplit s'imagine avoir tout découvert, comme s'ils étaient les derniers grands génies à fouler le sol de cette Terre... Je suis même prêt à parier qu'il y a pas mal de biologistes qui pensent la même chose de leurs accomplissements.

(Steve)
Cassé !

(Stéphane)
Je suis d'accord avec toi Nicolas. Toutefois, les progrès en physique semblent se faire à pas de tortue comparativement aux progrès en biologie.

(Stéphanie)
Si c'est Brian Josephson, il me semble qu'en plus de la bio. Cell., il s'est aussi lancé dans la parapsychologie. Et il n’a pas fait grand-chose en bio. cell. Comme quoi on peut avoir un Nobel à 33 ans et s'enliser un peu ensuite. On s'enlise classe, mais on s'enlise.

(Nicolas)
Tu sais Stéphane, pour moi tout ça n'est souvent qu'une question de perception. Étant ici dans un labo de RMN des protéines, pour certains de mes collègues RMNistes, la "biochimie" se résume souvent seulement à exprimer et à purifier une protéine...

Même au point où nous en sommes, je suis régulièrement sidéré de les voir complètement ahuris lorsque je leur présente de la recherche qui n'utilise aucune méthode de détection spectroscopique ou qui ne parle que d'avancées en biologie moléculaire (comme si tout ça était évident pour eux).

Pour certains, le dernier développement biochimique digne de ce nom, c'est la mutagenèse dirigée ! À les entendre parler, c'en est même parfois arrogant : comme s'il n'y avait point de salut en dehors de ce qu'ils font. 

Sur ce, ce n’est pas parce que les physiciens n’ont pas encore trouvé de moyen de voyager dans le temps qu’ils n’avancent pas. Tout comme ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore trouvé de cure au cancer qu’on n’avance pas... ;-)

(Stéphanie)
Sincèrement, vous trouvez que la biologie avance beaucoup en ce moment ? Techniquement peut-être, mais en terme de compréhension, il me semble qu'on en est pas mal au point de se rendre compte que justement, on ne comprend pas grand-chose. C'est bon pour la modestie, mais ça ne nous avance pas vraiment.

Est-ce qu'on va surexprimer ou knocker une à une toutes les foutues protéines du génome et voir ce que ça fait dans des HEK, des CHO, des souris, des droso, des vers, des tubes à essai ? Remarque, c'est un bon moyen pour avoir du travail pour longtemps, mais j'ai vraiment hâte de voir un petit génie, physicien, mathématicien, biologiste, musicien ou peut-être tout en même temps nous faire comprendre/sentir/entendre une voie peut-être un peu plus élégante. Pour simplement attaquer tout ça de manière efficace et consistante (désolée pour l'anglicisme).

(Stéphane)
Je ne suis pas d'accord. Les progrès sont énormes ! IPS cells ? Les génomes de cancers qui se font séquencer, les thérapies ciblées pour le cancer, les percées dans la compréhension entre les cellules tumorales et le stroma. Je dois admettre qu'à côté de ça l'avancement en physique, c'est de la p’tite bière... Et il ne s'agit que d'une petite fenêtre en biologie du cancer.

(Alexandre)
Les connaissances en physique dite fondamentale n'ont pas vraiment progressé depuis 30 ans (plusieurs physiciens commencent maintenant à l'admettre). En bio, les avancées sont énormes durant cette même période, surtout en génétique grâce aux avancées technologiques. Mais oui il reste beaucoup à faire pour comprendre toutes les fonctions/interactions. En physique, il n'y aura pas de progression dans les connaissances et d'unification des théories de la relativité et quantique tant que les physiciens n'accepteront pas que ces théories ne correspondent pas du tout a la réalite, même si leurs équations décrivent très bien les observations. Les théories unificatrices comme celles des strings ne sont que des constructions mathématiques qui n'ont aucun lien avec la réalité.

(Stéphanie)
Finalement, c'est vraiment bien Facebook, ça fait longtemps que je n'avais pas assisté à une discussion aussi intéressante ! Cela dit, technologiquement on est d'accord : les avancées sont trépidantes, gigantesques, etc. Mais il n'en reste pas moins que notre compréhension ne suit pas le rythme. En tout cas pas pour l'instant.

(Nicolas)
Alexandre, tu prouves exactement mon point. L’exemple de la théorie unificatrice, je l’avais sorti pour montrer à Stéphane que la physique n’était pas une science morte et qu’il restait encore beaucoup à comprendre dans le milieu. Ce que tu confirmes. Sur ce, il est vrai que ce sous-domaine de la physique moderne n’est pas le plus dynamique qui soit. Mais encore, on choisit bien de regarder les sous-domaines des disciplines que l’on veut bien.

Stéphane me parle de la biologie du cancer, soit. C’est un bon exemple pour démontrer les avancées de la biochimie contemporaine qui, soit dit en passant, demeure très bien financée comparativement à d’autres domaines de recherche (ce qui explique en partie la vitesse des découvertes). Mais qu’en est-il des sous-domaines de l’évolution dirigée, des anticorps catalytiques, de l’enzymologie, etc. ? Je m’excuse, mais ça aussi c’est de la biochimie. Et ça stagne pas mal (tout comme certaines des techniques dont nous mentionne Stéphanie). Encore une fois, je répète qu’il s’agit d’une question de perception : on choisit de lire la littérature des domaines qui nous intéressent et d’ignorer ce qui ne nous intéresse pas en se convainquant que rien ne s’y passe d’intéressant...

Sur ce, je trouve plutôt comique qu’un biochimiste (en l’occurrence moi) soit en train de prendre la défense des physiciens. Ne sont-ils pas capables de se défendre eux-mêmes ? I’m on your side guys! ;-) Récapitulons. Personne ici ne remet en question les avancées de la biologie moléculaire moderne (surtout pas moi), mais il faudrait arrêter de s’imaginer que les physiciens sont des êtres reclus à la Einstein qui sont obsédés par les mystères de l’univers et par leurs équations incompréhensibles. Des physiciens modernes qui travaillent dans des sous-domaines dynamiques et révolutionnaires de la physique, ça existe pas mal plus que vous vous imaginez, même si vous ne portez pas attention à leur littérature et même si ça n’affecte pas directement le domaine de la santé.

Prenez par exemple la RMN des protéines. Le prix Nobel de Wüthrich en 2002 a beau être en chimie, il n’en demeure pas moins que tous les développements de la technique sont exclusivement physiques. Et là, on ne parle pas uniquement des chimistes et physiciens qui ont eu l’idée d’utiliser la RMN pour étudier des molécules biologiques, on parle de l’effort concerté de physiciens et de chimistes physiciens modernes qui ont, dans les 15 dernières années, littéralement « inventé » le domaine. Stéphane, étant prof dans la même université que Lewis Kay, you should know better! ;-)

Du développement des spectromètres RMN à haut champ magnétique (600-700-800-900 MHz), à l’écriture des séquences d’impulsion, à la RMN multidimensionnelle, en passant par le développement du TROSY, des séquences CPMG qui nous permettent d’étudier la dynamique des enzymes *pendant* l’événement catalytique (écrites par mon boss d’ailleurs) ;-), tout ça c’est du nouveau. En fait, ce n’est pas compliqué, le postdoc que je fais actuellement, je n’aurais tout simplement pas pu le faire il y a 10 ans tellement le domaine était précaire.

Je vous parle d’un exemple, mais les physiciens pourraient vous en nommer des tonnes d’autres (supraconductivité, physique des lasers, particules subatomiques, etc.). Les numéros hebdomadaires de Science sont bourrés d’avancements en physique. Pour s’en rendre compte, il suffit d’ouvrir les yeux. Et l’esprit. ;-)
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