2009-02-09

Une expérience de vie. Une comparaison de sociétés. Une question de point de vue.

Je vous écris ce billet avec un œil au beurre noir et une douleur piquante au bas de ma paupière droite. La cause ? Je fus ce matin l’un des patients privilégiés du Yale Surgical Dermatology Department, où l’on m’a débarrassé en quelques heures de ce carcinome basocellulaire qui ponctuait cette partie de ma peau de blondinet un peu trop affligée par le soleil dans sa courte vie. 

Je vous avais déjà parlé de l’anxiété d’apprendre que l’on est atteint d’un cancer de la peau (ici), et je vous avais aussi déjà parlé de l’expérience positive associée à notre système de santé québécois (ici). Or, ce dont je ne vous avais jamais encore parlé, c’est de l’extraordinaire expérience de se faire traiter dans un système de santé géré à 100 % par le privé. Autant puisse-t-on qualifier d’« extraordinaire » tout moment passé dans un hôpital ou dans une clinique de santé - tout est relatif, on s’entend -, ce que j’ai vécu aujourd’hui se rapproche grandement de la « plénitude hospitalière » et du monde idéal dont on ne parle que dans certains circuits fermés du Québec. 

On aura beau dire ce qu’on voudra des avantages du système universel canadien et de la nécessité de le préserver - ce que je ne remets aucunement en question -, reste qu’on se rend compte de l’efficacité d’un système privé réservé uniquement « aux riches » lorsqu’on réussit à bénéficier personnellement de ses services. Système réservé aux privilégiés ? Tout à fait. Mais qu’on ne se fasse pas d’accroires en venant me dire que ledit système de santé est équivalent à n’importe quel autre... Dire de telles balivernes reviendrait à dire que la boîte de transmission manuelle d’une BMW et celle d’une Toyota sont équivalentes. D’accord, elles font le même travail, mais ce n’est qu’en les essayant toutes les deux en parallèle qu’on doit se rendre à l’évidence et avouer qu’on ne parle pas des mêmes ligues. Et jeu de mot à l’appui, question système « à deux vitesses », la différence est flagrante. 

Voici donc mon analyse bien personnelle du système de santé privé de l’Université Yale, basé sur ces quelques derniers mois d’intenses consultations dermatologiques. 

Tout d’abord, le système de santé en question se caractérise par l’absence presque totale de délais, et ce à tous les niveaux. Expérience vécue à deux reprises en janvier : « Vous voulez voir un dermatologue pour une vérification complète de votre corps ? D’accord, est-ce que demain matin à 8h45 ferait votre affaire ? » Pas de blagues... J’avais dû attendre des mois pour avoir un rendez-vous similaire avec un dermatologue au Québec il y a quelques années, et avait fallu a priori être référé par un médecin généraliste. Non mais !

De plus, on m’a découvert ce cancer de la peau au mois de décembre. Heureusement pour moi : diagnostic bénin (donc vraiment pas urgent d’opérer). N’empêche, la chirurgie fut complétée début février, moins de six semaines après le diagnostic initial. J’espère sincèrement ne jamais vivre l’anxiété de me faire diagnostiquer un mélanome malin, mais si une telle chose horrible devait arriver, on m’assure que la chirurgie serait d’autant plus expéditive que celle du carcinome aurait pu attendre plus longtemps. On est loin des trois mois d’attente de cet urgent cancer du rein dont nous parlait notre ami médecin dans les commentaires d’un billet précédent !

Expérience positive, vous disais-je donc ? En peu de mots : arrivée prompte à la clinique à 7h00 du matin. Mais alors là, rien à voir avec l’image que vous vous faites d’une clinique de Côte-Des-Neiges à Montréal : hyper propre, hyper technologique, hyper moderne, personnel *poli*, *accueillant* et *souriant*. Bref, à la manière qu’une entreprise privée traite un client, et non pas de la manière cavalière qu’a l’état de traiter un bénéficiaire. La suite ? Signature de 2-3 papiers d’assurances auprès de l’infirmière, car vous l’aurez deviné, l’assurance santé de Yale couvre l’entièreté des frais. Or le prix mensuel de ladite assurance est loin d’être donné : 451 $ par personne, par mois. Oui, oui, par *mois*. Montant heureusement payé par mon employeur (soupirs de soulagement...). 

N’empêche, ouverture de la parenthèse : si on fait le calcul annuel de tout ça, on arrive à 5412 $. Et je vous le répète : montant payé par mon employeur, *en plus* de mon salaire normal. Si on compare ce montant avec les frais d’impôts de santé payés par chaque contribuable québécois annuellement, ça se compare comment ? Et les services qui viennent avec, ils se comparent comment, eux ? Question qui restera bien entendu ouverte... À vous d’y réfléchir. Fermeture de la parenthèse.

Donc ce matin, deux petites incisions sous l’œil séparées d’environ 45 minutes d’attente chacune, question d’aller étudier la tumeur sous le microscope dans le laboratoire adjacent (on s’assure que toutes les marges sont claires et que toutes les cellules cancéreuses ont été enlevées). On appelle ça une chirurgie de MOHS. Côté patient, on attend dans une petite salle moderne avec 2 ou 3 autres personnes tout au plus : café, muffins, bagels, cuisinette et revues à notre disposition. À la fin, points de suture, explications détaillées du suivi avec prise du prochain rendez-vous, validation du billet de stationnement (payé pour la journée) et retour à la maison avec les outils nécessaires pour traiter la plaie, bien évidemment fournis par la clinique : petit tube de vaseline, gaze, crème solaire, etc. Bref, jamais je n’aurais cru que la description d’une clinique privée pouvait se rapprocher de l’image dépeinte dans ce fameux épisode des Bougon que vous avez peut-être eu le privilège de voir, mais ce n’est pas loin !

Et vous voulez savoir le comble ? Quelques heures après l’opération de ce matin, je me repose à la maison et je reçois un coup de fil du médecin. Paniqué, je pense immédiatement qu’on va m’informer de la découverte d’un autre site cancéreux ou de quelque chose du genre. Pas du tout. Raison de l’appel ? On veut faire un suivi immédiat, question de savoir comment va la journée, comment se porte la plaie, si la douleur est supportable, etc. Et surtout, on veut me rappeler le fait qu’ils sont disponibles 24 heures sur 24 si quelque chose venait à mal tourner. Non mais comme le disait si bien André Boisclair lors de son investiture à la tête du PQ : « Wow ! »

Vous aurez donc compris que cette journée désagréable fut grandement compensée par ce système de santé qu’on se plaît tant à démoniser dans certains cercles gauchistes québécois. Payé par mon employeur privé ? Vrai. Cher ? Vrai. Mais efficace, expéditif, à la fine pointe de la technologie et avec les meilleurs médecins du monde ? C’est là qu’il faut malheureusement (ou heureusement) aussi répondre ça : Vrai. BMW versus Toyota. 

En espérant pouvoir reprendre une vie normale d’ici quelques jours, j’essaie de ne pas trop songer au fait que les gens qui ont déjà développé un cancer de la peau dans leur vie ont 40 % de chances d’en développer un second... Morale de l’histoire ? Rendez-vous chez le dermatologue au minimum une fois par année pour faire vérifier ses grains de beauté, ou encore n'importe quel bouton qui ne guérit pas après deux semaines et/ou qui saigne, ou toute tache de peau qui nous semble nouvelle ou différente des autres. 

Entre temps, la vie continue et il faut l’apprécier tant qu’elle dure.

3 commentaires:

Le Redneck a dit...

Et une autre histoire qui ressemble en tout point à l'expérience qu'on a également vécu.

Preuve que ce n'est pas seulement un coup de chance.

Bien sûr, il doit y'en avoir des hopitaux un peu moins "high class" ou des médecins qui s'apparentent un peu plus à des bouchers. Cependant ces entreprises et ces médecins seront assurément victime de la compétition. Le médecin sera remercié de ses services ou encore poursuivi pour mauvais traitement et l'hopital fermera ses portes étant donné le peu de clients.

Essayez de vous attaquer à un hopital, une infirmière ou un médecin au Quebec. C'est pratiquement peine perdue et bien souvent on se fait dire de manière très polie "ta yeule t'a été soigné gratuitement"

Anonyme a dit...

Le problème au Québec est que le nombre de médecin est contingenté, ce qui crée une rareté artificielle (le gouvernement ne veut pas en payer plus). Voilà pour l'accessibilité. Aussi, quand il y a assez de médecins, le gouvernement les empêche de travailler quand ils veulent (ne peuvent pas opérer le soir par exemple, sauf les cas urgents). Pourtant, les dentistes et bien d'autres professionnels au privé offrent des services électifs le soir...

Par curiosité, est-ce que tu as eu une facture pour tous ces services (que tes assurances ont payés) ? Je suis curieux de savoir combien ils facturent.

Je tique un peu sur ta croyance qu'ils sont de "meilleurs" médecins. Ils ont plus de matériel, ils sont plus accessibles, leur disponibilité fait qu'ils sont moins expéditifs, mais pas nécessairement "meilleurs" en termes de compétence. C'est une question d'exposition et d'expérience.

Je pourrais parler d'un patient américain (avocat en plus!) que j'ai hospitalisé pour un infarctus et qui m'a envoyé une lettre de remerciement avec un gros chèque en me disant qu'il a été traité et soigné mieux dans le trou où je travaille que par son cardiologue américain !

C'est beaucoup une question de perception en fin de compte.

Nicdou a dit...

@ logodopaminé

Je suis d’accord qu’il s’agit bel et bien d’une question de perceptions et qu’on peut facilement tomber sur des trous de cul et des incompétents un peu partout. Reste que le système américain, de la manière qu’il est construit, laisse très peu de place (ou même de chance) à l’incompétence dans des milieux aussi prestigieux et contingentés que Harvard, Yale ou toute université de ce calibre. De plus, à mon avis, le problème du Québec est davantage sur le fond et la gestion que sur la réelle compétence de nos médecins. Papier intéressant d’Alain Dubuc à cet effet dans La Presse d’aujourd’hui, qui touche à cette foutue obsession qu’on a de la « légalité » dans notre système de santé :

http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/alain-dubuc/200902/14/01-827483-y-a-t-il-un-avocat-dans-la-salle-dop.php

Ceci dit, je n’ai jamais reçu de facture pour les services reliés à mon intervention. J’aurais moi aussi été bien curieux de voir, mais disons que je préfère ne rien recevoir, car si je venais à recevoir quoique ce soit par la poste, cela voudrait assurément dire que je devrais en payer une partie. Donc, je préfère tenir ça mort.

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