2008-04-14

La prose parfois extrême des deux francs-tireurs


L’un des blogues que je lis avec le plus d’assiduité est celui de Patrick Lagacé. Je ne saurais dire pourquoi, mais il s’agit pour moi d’aller chercher un certain réconfort quotidien dans ce monde sans ambiguïté, dans ce monde qui fait parfois du bien aux neurones puisqu’il permet régulièrement de mettre son cerveau à ‘off’. Non pas que Patrick ne parle que de sujets légers (à part peut-être le sport), mais avec ses chroniques, pas besoin de penser trop intensément, car tout comme avec les opinions de son comparse Richard Martineau ― dont j’adorais la prose populaire dans le temps où j’étais abonné à l’Actualité ― il est bien rare que les choses soient subtiles et grises. Avec eux, le monde est régulièrement coupé carré, peuplé de bons et de méchants, avec des valeurs morales clairement définies : les bonnes et les mauvaises. Ouain...

Si tu fais partie des gens « normaux » qui considèrent la vie humaine plus importante que tout, tu es bon; si tu fais partie des « gau-gauchistes » animalistes qui la voient à même égalité que celle des animaux, tu es méchant. Si tu lis les chroniques occidentales qui donnent des nouvelles sur la situation des droits de l’Homme en Chine, tu les crois et tu es bon; si tu lis celles qui proviennent de la Chine ou d’un média qui contredit la vision occidentale, tu es mal informé et méchant. C’est noir ou c’est blanc, il n’y a point d’autre salut. En fait, ces gars-là ne se préoccupent pas trop des conséquences éthiques de leurs jugements de valeur et ça ne leur fait pas un pli sur la poche. D’ailleurs, ce sont des grandes gueules et ils l’assument. En fait, même le titre de leur émission commune est révélateur à ce sujet : les francs-tireurs. Le blogue de Martineau s’appelle d’ailleurs « Franc-parler ». C’est pas peu dire.

Le seul problème avec une grande gueule, c’est que ça dit souvent des choses pas toujours réfléchies et/ou analysées profondément. Je le sais, moi aussi ça m’arrive d’être une grande gueule ! En fait, dire qu’ils ne réfléchissent pas est faux puisqu’ils réfléchissent constamment, mais ils ont souvent de la difficulté à se mettre dans la peau de l’autre, de l’autre côté de la médaille du référentiel des valeurs morales occidentales. Au demeurant, s’ils réussissent à le faire, l’étape suivante s’avère souvent insurmontable : sortir de leurs multiples années d’éducation et de leur perception nord-américaine qui, elle aussi, sans qu’ils s’en rendent souvent compte, est truffée de biais et de propagande pro-occidentale insidieuse. Ce dernier point, ils ont soit de la difficulté à le voir, ou encore ils ont de la misère à l’accepter (s’ils ne le refusent pas carrément).

À cet effet, les perceptions occidentales et orientales de la situation au Tibet en sont un bon exemple. Personnellement, je ne suis pas en faveur de la souveraineté tibétaine et je ne suis pas en accord avec la position chinoise non plus. Je considère juste ne pas être suffisamment informé sur toute cette situation pour prendre une décision éclairée. D’ailleurs, il me semble que quiconque n’a pas passé un bon bout de temps à étudier la situation historique et géo-politique, à vivre ce qu’elle est sur le terrain et à s’informer sur plusieurs fronts (i.e. pas juste avec les médias de masse occidentaux) n’est pas en mesure d’avoir une opinion tranchée sur le sujet.

En gros, ça revient un peu à la perception qu’ont certains Canadiens anglais ou certains Américains par rapport au mouvement souverainiste québécois. Ils ne sont pas informés, ils ne comprennent pas bien la situation et ils se permettent quand même d’avoir une opinion qui contraste bien souvent avec la réalité vécue sur le terrain au Québec (voir ici pour quelques exemples). Avoir une opinion, c’est leur droit fondamental, mais en faisant partie d’un référentiel politique externe à celui du Québec, ils doivent savoir que leur perception est fortement biaisée, tout comme la nôtre l’est par rapport à la situation des droits de l’Homme en Chine et au Tibet. En fait, n'importe quelle opinion d'un observateur externe demeure extrêmement biaisée et mal informée par rapport à presque toute situation de la vie quotidienne d'un autre individu ou d'un autre peuple. Le truc, c'est de ne pas juger à prime abord.

Pour la crise tibétaine, il s’avère que je travaille avec des Chinois qui apportent une perception complètement différente de celle que l’on considère fondamentalement essentielle en tant qu’Occidentaux. Ces gens-là viennent de Chine et ne sont pas, comme on voudrait le croire, sous l’emprise de leur gouvernement « totalitaire ». Ils sont des êtres humains intelligents, capables de raisonnement et qui réfléchissent à toute cette affaire de manière logique, avec leur éducation orientale et leur observation occidentale respectives. Ces gens-là, ils arrivent souvent à une conclusion différente de la nôtre et il faut l’accepter. Attention, je ne dis pas qu’ils ont raison ! Je dis juste qu’une opinion tranchée, d’un côté comme de l’autre, ça ne vaut pas grand-chose et que ça alimente bien souvent les préjugés.

Les principaux intéressés n’aimeront probablement pas ma comparaison, mais les Patrick Lagacé et Richard Martineau d’aujourd’hui sont quelques-fois, d'une manière plus « légère », les Jeff Filion de la presse écrite québécoise, c’est-à-dire des gens qui refusent souvent la discussion. Attention ! Pas tout le temps, mais quelques-fois.

J’ai grandi à Québec et j’ai écouté Filion pendant plusieurs années à CHOI. Contrairement à ce que la presse écrite en a dit lors du scandale Chiasson, le bonhomme n’était pas démoniaque et la chasse aux sorcières dont il a été victime n’en valait assurément pas le coup. Filion, c’était une grande gueule à la Gilles Proulx ou André Arthur qui est allé trop loin dans ses opinions tranchées et qui s’avérait posséder une tribune journalistique pour faire passer ses idées trash. Il a fait des erreurs, il a dû en payer les conséquences et c’est bien fait pour lui. Mais dans le fond, Filion disait tout haut ce qu’une majorité de la population pense souvent tout bas. Un gars qui, comme la population en général, ne se donne pas toujours la peine d’étudier l’autre côté de la médaille de manière profonde et qui base couramment ses opinions sur des préjugés.

À l’exception du fait que les Lagacé et Martineau ont un passé intellectuel derrière eux et qu’ils ne touchent pas au pipi-caca, ils sont similaires dans ce sens qu’ils font souvent du journalisme provocateur. Ces gens-là sont tellement convaincus de la véracité de leurs arguments moraux qu’il est difficile de leur faire changer d’idée. Ils vont d’ailleurs régulièrement lancer une idée sur leur blogue et ils vont laisser les gens en débattre dans la section des commentaires sans pour autant y revenir et avoir une discussion de fond sur le sujet. Pendant que les commentaires s’alignent, eux, ils sont déjà dans la prochaine histoire, dans le prochain topo, convaincus de la véracité de leurs propos initiaux et de la finalité du débat.

Un exemple récent ? Les droits des animaux. Pour Lagacé, c’est comme ci et comme ça. Trente secondes et au suivant ! Se donnera-t-il la peine de lire Peter Singer et de remettre ses valeurs en question ? J’en doute. Ou s’il l’a fait, ça ne paraît pas beaucoup dans ses propos. Pourtant, même moi qui ne suis aucunement animaliste ni végétarien, j’en ai lu quelques bribes et laissez-moi vous dire que ça fait réfléchir, surtout dans la perspective utilitariste dans laquelle notre société vit. À tout le moins, les arguments de Singer ― l’un des philosophes contemporains les plus respectés, d’ailleurs ― font assez réfléchir pour savoir que la question éthique des droits des animaux, ce n’est pas bing bang boum, trente secondes et au suivant... Et ce n’est même pas aussi clair que la vie d’un humain par rapport à celle d’un animal. En fait, c’est pas mal plus complexe que ça et ça mérite de s’y arrêter.

Oui Watson est passé dans l’extrémisme dans ses positions par rapport à la chasse aux phoques et il n’a pas eu raison d’aller si loin (en disant notamment que la mort des pêcheurs madelinots était justifiée). Par contre, ce que Lagacé ne semble pas se rendre compte, c’est que lui aussi penche vers l’extrémisme dans ses paroles. C’est de l’extrémisme de prose journalistique qui vire pratiquement à la limite du trash. Pour lui, la vie d’un être humain sera TOUJOURS plus importante que celle d’un animal. C’est final bâton et le sujet est clos. Il passe même aux actes pour le prouver : il achète du phoque et envoie un porte-clé en peau de phoque à Watson en l’injuriant. Ça, c’est loin d’être l’action d’un homme qui a pris le temps de réfléchir aux conséquences éthiques de ses paroles, de ses actes et de sa position morale.

Mais bon, que voulez-vous ? C’est du show, ça fonctionne et les gens en redemandent. En quelque sorte, c'est la version montréalaise plus douce et politiquement correcte de la radio trash que faisait Filion à Québec. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on aime bien les lire ces journalistes parfois extrêmes : les gars sont là pour faire du journalisme populaire et faire ressortir ce que le monde pense souvent tout bas dans leur petit cercle clos. C’est compréhensible et, dans une certaine mesure, même désirable. Mais là où il faut faire attention, c’est dans l’importance que l’on accorde à leurs propos. Les gars ne sont clairement pas là pour faire de la philosophie et ils ne savent pas toujours de quoi ils parlent. Gardons-le en tête.

1 commentaire:

Renart Léveillé a dit...

Très bonne analyse, vraiment, du bon bon!

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