2008-02-20

Apparemment, non.


On se dit toujours que c’est loin de nous, que c’est pratiquement irréel de même y penser. Après tout, c’est la minorité, n’est-ce pas ? On regarde Sicko de Michael Moore, on apprend que des millions d’Américains n’ont aucun régime d’assurance santé et on ne se rend pas vraiment compte de ce que cela peut signifier. Je ne parle pas nécessairement de la « signification » au niveau du choix de société qu’ont fait les Américains, mais bien de l’impact individuel de ce choix en tant que personne humaine, en tant que petit bonhomme dans son soi-même.

Après tout, au Canada, la question ne se pose même pas. En fait, arrêtez-vous deux secondes et pensez-y, car je suis persuadé que vous ne l’avez jamais vraiment fait sérieusement.

Si vous êtes comme moi (environ 30 ans) et que vous avez été élevé au Québec ou dans le reste du Canada, vous avez grandi avec l’assurance maladie. C’est tellement évident. On a un petit problème de santé, on passe à l’hôpital, on apporte sa carte soleil. C’est tout. Mais imaginez-vous deux secondes qu’on vous l’enlève. Si vous avez été plus ou moins chanceux au niveau de votre santé, vous ne vous êtes probablement jamais rendu compte du luxe que pouvait vous procurer ce petit bout de plastique qui fait tchi-ke-tchik à l’hôpital. Hé bien quand on vit ailleurs, on s'en rend compte. Et c'est pas long.

Quand on vit ailleurs, on se remémore assez vite que toute personne intelligente, éduquée et/ou ouverte d’esprit se dira que s’il y a quelque chose qui ne va pas avec son prochain, c’est de notre devoir de l’aider. Au même titre que c’est de son devoir de nous rendre la pareille si c’est nous qui sommes dans le pétrin, n’est-ce pas ? C'est la prémisse des systèmes de santé universels. Justement, ne devraient-ils pas être universels ? Dans le sens de... partout ?

Apparemment, non.

Mon propriétaire est architecte et habite au premier étage de notre demeure, une belle grande maison de style colonial de la Nouvelle-Angleterre. C’est pas mal beau et nous en profitons bien. En plus de faire construire des manoirs de riches dont il me montre parfois les photos, il aime également beaucoup me répéter l’anecdote qui suit (il commence à être vieux et il radote un peu...).

Il y a quelques années, dans le cadre d’un voyage d’affaire dans la région de Toronto, il a remarqué que les demeures de ses riches clients canadiens étaient beaucoup plus modestes que celles qu’il faisait construire pour ses clients américains de la même « classe sociale ». Autrement dit, à profession égale, le Canadien est pas mal moins riche que l’Américain. Y’a rien de nouveau là-dedans, c’est archi connu.

Or lui, il a de la misère à comprendre ça. Il ne voit pas où ça cloche. Clairement, c’est un choix de société. On paye beaucoup d’impôts pour avoir droit au bout de plastique qui fait tchi-ke-tchik à l’hôpital, ou encore on n’en paye pratiquement pas et on n’a pas droit au bout de plastique qui fait tchi-ke-tchik. C’est plate pour les Canadiens, mais ça paraît sur le train de vie.

Ce qui m’amène à l’autre anecdote. Celle où j’ai justement pris conscience que ça pouvait avoir un impact de payer plus d'impôts. Surtout pour le tchi-ke-tchik.

Un de mes collègues de travail vient du Michigan. Mais alors là si vous pensez que vous venez du nord en ayant grandi au Québec, regardez vos cartes comme il faut. Le bonhomme vient de Calumet, Michigan. Dans la haute péninsule (voir ici). Du genre que si le lac Supérieur n’existait pas, le gars serait plus Canadien que vous et moi. Du genre même que la majorité de la population canadienne vit au sud d’où il a grandi. Genre.

Mais Calumet, c’est malgré tout au sud de la frontière canadienne, dans ce grand pays composé de plusieurs états qui sont unis et qui ne se sont jamais donné d’autre nom officiel que ça, les États-Unis. Petite ville d’ouvriers comme on en retrouve plein en Amérique du Nord, Calumet est éloignée des grands centres, pauvre, avec une jeunesse un peu désabusée et une population décroissante au rythme des années qui passent. Et surtout, frontière oblige, les habitants n’ont pas de bout de plastique qui fait tchi-ke-tchik.

Heureusement, mon collègue a une tête sur les épaules et il est bien maintenant : il fait son doctorat en chimie à Yale et, comme tous les étudiants et employés de l’université, il est couvert par l’assurance maladie privée de l'université. Celle qui coûte 310 $ US par mois et qui est (heureusement !) payée par les fonds de recherche du patron. Ainsi, dans une discussion banale où nous parlions de ce plan d’assurance santé, il m’a mentionné que tout ça c’était du nouveau pour lui.

Du nouveau. La possibilité d’aller cher le médecin et de se faire soigner. Humm...

- Wo minute... T’as jamais été couvert par une assurance maladie avant maintenant ?

- Non. D’où je viens, nous étions pauvres et nous n’avions pas les moyens de se payer ça. D'ailleurs, mes parents sont encore comme ça.

- Mais tes parents, ils travaillaient bien dans une compagnie, oui ?

- Oui.

- N’ont-ils pas une assurance privée d’incluse ?

- Non, peu de compagnies offrent ça aux États-Unis.

- (Air subjugué) Mais... C’est... Un droit fondamental... Essentiel... Universel... Non ?

- Apparemment, non.

- T’as déjà vu Sicko de Michael Moore ? C’est exagéré, mais ça donne une bonne idée.

- Non, je n’ai vu aucun film de Michael Moore.

- (Air subjugué) Mais... Il vient du Michigan lui aussi !

- Oui, je sais, de Flint. J’ai juste l’impression que ça me rendrait encore plus fâché envers mon système politique de voir ses films.

- (Air subjugué) Donc toi, ton assurance santé, c’était de ne pas tomber malade ?!

- C’est à peu près ça, j’ai été chanceux. Et quand tu tombes malade, je peux te dire que tu y penses à deux fois avant d’aller chez le médecin parce que c’est cher en titi. Si tu savais comme j’aurais voulu avoir un système de santé universel dans ma jeunesse…

Ça ne m’est pas souvent arrivé dans ma vie, mais laissez-moi vous dire que lorsque ce genre de discussion vous tombe dessus pour la première fois en personne, en chair et en os, la fierté d’être Canadien vous rentre dedans comme un truck de 2 par 4.

Aussi bien en profiter pendant que ça passe.

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Jetez un coup d'oeil ici pour avoir une idée des pays qui ont un système de santé universel sur la planète. Ironiquement, remarquez comme les zones rouges sont comiques. Je vous laisse deviner pourquoi.

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