2008-02-02

La colle qui nous tient ensemble

Caché derrière le prétexte des Lavigueur, excellent petit texte de Nathalie Petrowski à propos de l'identité québécoise. Je le reproduis en entier pusiqu'il n'est plus disponible en ligne...

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Les Lavigueur et le ROC
Nathalie Petrowski
La Presse, le samedi 26 janvier 2008

Jian Ghomeshi est la Christiane Charette de la radio publique anglaise. Canadien d'origine iranienne, né à Londres mais élevé à Toronto, cet ex-musicien est aujourd'hui l'animateur de Q, une quotidienne culturelle à la première chaîne de la CBC. Quarante ans, cultivé, lettré, diplômé, la culture, il connaît ça. Surtout la culture américaine. La culture canadienne aussi. Jian est en effet un ardent défenseur du contenu canadien et trouve que la culture canadienne n'est pas assez célébrée. Quant à la culture québécoise, well...

Coup de téléphone de son recherchiste. Jian veut faire une entrevue pour comprendre le phénomène des Lavigueur. J'accepte. Je suis habituée. Tous les six mois, je reçois un appel d'un éminent représentant du ROC (rest of Canada) qui cherche à comprendre un quelconque phénomène culturel typiquement québécois et à en informer le reste des Canadiens.

J'écris Canadiens, mais en réalité, je devrais écrire terriens dans la mesure où chaque fois que nos compatriotes braquent leur regard sur nous, ils ne nous voient pas comme des semblables légèrement distincts. Ils nous voient comme des martiens. Jian Ghomeshi ne fait pas exception.

Première question: «Comment se fait-il qu'il y ait un seul endroit sur terre où deux millions de personnes s'assoient le même jour et à la même heure devant leur télé pour regarder une émission sur une famille qui a gagné à la loterie dans les années 80?» J'ai failli répondre: «Faudrait leur demander», mais j'ai décidé de la jouer décontractée. «Vous savez, au Québec, dans notre lointaine contrée, les hivers sont longs et froids et la seule électricité disponible vient de la télé.» Il n'a pas ri. Il était trop occupé à essayer de comprendre et il n'y parvenait pas: deux millions de téléspectateurs sur une population de sept millions, ça n'a aucun sens! C'est quoi l'affaire, le truc, le mystère?

J'ai commencé à perdre patience. Cela fait 595 fois que j'explique aux représentants du ROC: l'îlot francophone noyé dans une mer anglophone, la communauté d'esprit des insurgés, la résistance culturelle, l'affirmation identitaire, le besoin de se retrouver dans des oeuvres fabriquées à notre image et dans notre langue. Mais rien n'y fait. Confrontés à leurs cotes d'écoute faméliques et à un public branché en permanence sur le câble américain, nos amis du ROC n'arrivent tout simplement pas à concevoir qu'une société aussi soudée devant sa télé puisse encore exister. Le phénomène des Lavigueur, par conséquent, leur échappe, comme celui des Bougon leur a échappé il y a trois ans, et comme celui de la Petite vie, leur a échappé il y a encore plus longtemps.

Ayant toujours ignoré leur propre culture et refusé de la protéger contre les assauts du géant américain, ils ne pigent pas pourquoi nous avons notre propre star system, pourquoi nous n'avons pas honte d'aller voir des films made in Québec et pourquoi il arrive que ceux-ci soient en nomination aux Oscars. Pourtant, le Québec fait partie de la Confédération canadienne depuis plus de 140 ans. Nous ne venons pas tout à fait d'arriver dans le paysage. Et si notre culture a mis du temps à trouver sa voix, c'est chose faite depuis au moins l'Expo 67, bordel!

L'entrevue s'est terminée sur une note hivernale. Vous savez, nous aussi, on a de la neige; pourtant, nos émissions ne font pas de cotes d'écoute, a conclu Jian Ghomeshi. J'ai failli lui répondre: «C'est parce que votre neige n'est pas tricotée aussi serré que la nôtre.» Je n'ai pas osé. La prochaine fois.

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